L’Allemagne envisage d’interdire les voitures thermiques d’ici 2030. Le Maroc, qui héberge la COP22 a commencé à électrifier des bus électriques à Casablanca. Même en Chine, on parle de véhicules électriques. Tout cela est-il bien raisonnable ?
L’humain est fait de telle sorte qu’il se déplacera toujours d’autant plus qu’il en a les moyens. La mobilité, c’est sacré. C’est presque un droit de l’homme. Toucher à la mobilité, c’est toucher à la liberté individuelle. Et pire : toucher à la voiture, c’est toucher au statut social. Conséquence : la mobilité n’a presque pas été abordée par le Grenelle de l’environnement ni par la loi de transition énergétique.
L’idée que le véhicule électrique (VE) est écolo est une belle légende, très profondément ancrée dans les esprits et on ne remet presque jamais en question cette légende. En fait, il peut l’être, mais ce n’est pas du tout automatique. On va voir que la voiture électrique peut être la meilleure ou la pire des choses pour le climat.
Je vais faire cet exposé de façon très scolaire : thèse, antithèse, synthèse. Thèse : la voiture électrique, c’est pourri. Antithèse : oui, mais quand-même. Synthèse : c’est une question de perspective et de pari sur l’avenir.
Thèse : la voiture électrique, c’est pourri.
Pour qu’une voiture électrique soit écolo, il faut qu’elle fonctionne avec une électricité propre. Sinon, ce n’est pas la voiture qui pollue, mais la façon de produire son énergie, ce qui revient au même.
Explication : prenez l’exemple d’une voiture A (à essence) et d’une voiture B (électrique) qui roulent toutes les deux dans un pays dont le mix électrique imaginaire est constitué de centrales thermiques au fuel (on en voit peu, car c’est du gâchis de mettre du fuel dans ces centrales thermiques, mais bon, imaginons…).
La voiture A brule de l’essence pour fonctionner car elle a un moteur à explosion. C’est cette explosion qui dégage du CO2.
La voiture B n’émet pas une seule molécule de CO2 quand elle roule, mais pour produire l’électricité qui l’alimente, on a fait tourner une centrale thermique qui brule du fuel, ce qui émet du CO2. Donc la voiture B est responsable d’émissions de CO2 dites « indirectes ».
A première vue, les émissions sont du même ordre de grandeur. Le moteur à explosion a un plus mauvais rendement que celui de la centrale thermique, mais le transport de l’électricité coûte également de l’énergie. Admettons que cela s’équilibre.
Dans la réalité, les centrales électriques fonctionnent plutôt au charbon (qui fait plus de CO2 que le fuel), au gaz (qui en fait mois), ou aux énergies bas carbone comme le renouvelable et le nucléaire (qui, pour faire simple, n’en font pas).
Pour donner un ordre de grandeur : avec un mix représentatif du mix électrique mondial, une voiture électrique émet autant de CO2 qu’une voiture thermique. Et donc, une voiture électrique qui roule en France, en Suisse ou en Norvège (avec un mix peu carboné), émet moins qu’une voiture à essence. A contrario, une voiture électrique en Allemagne, au Maroc, en Chine, ou, pire, en Pologne, émet plus de CO2 qu’une voiture thermique à cause des émissions indirecte du mix carboné de ces pays.
Le véritable avantage écologique du Véhicule Electrique, c’est de ne pas émettre de particules fines, qui sont une pollution locale (et on pense tout de suite à Shanghai ou Pékin).
Revenons au carbone. Certains pays, donc, veulent des voitures électriques et y compris des pays qui ont des mix électriques tellement carbonés, qu’une voiture électrique émet plus de CO2 du puits à la roue qu’une voiture thermique !
Arrêtons d’être rabat-joie, me direz-vous, il suffit de s’équiper de panneaux solaires et d’alimenter sa voiture avec. C’est vrai. Mais cela est quand-même un peu une vue de l’esprit. En effet, si vous habitez en Allemagne, et que vous achetez 1) 10m² de panneaux PV et 2) une voiture électrique, vous pouvez alors dire que votre voiture est écolo. Mais que se serait-il passé si vous aviez 1) acheté 10m² de PV et 2) gardé votre voiture thermique ? Vous n’auriez pas de voiture écolo, certes, mais vos panneaux PV effaceraient alors intégralement des moyens de production carbonnés et votre bilan carbone serait meilleur qu’avec une voiture électrique. Et c’est bien cette comparaison qu’il faut faire, si on veut être honnête intellectuellement.
De plus, à l’échelle d’un pays, personne n’a en charge de garantir que suffisamment d’électricité verte sera produite pour absorber le besoin nouveau en électricité généré par l’électrification de ces usages. Et certainement pas les constructeurs. Ces dernier mettent des panneaux PV partout dans leurs brochures, mais beaucoup moins sur les toits ! Quand leurs ventes s’envoleront, ils expliqueront sans le moindre scrupule que ce n’est pas à eux de fournir l’électricité propre.
Faut-il alors jeter la voiture électrique aux orties ?
Pas du tout, car elle a un rôle indispensable dans la transition. Tous les scénarios qui sont compatibles avec un réchauffement inférieur à 2°C (les scénarios RCP2.6 du GIEC) comportent un volet électrification de la mobilité. Il y a donc bien de la voiture électrique dans les scénarios 2°C du GIEC. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est plus facile de décarboner l’électricité que les carburants liquides.
Maintenant qu’on a compris tout cela, on se dit qu’il serait plus logique de décarboner le mix avant d’électrifier le transport, n’est-ce pas ?
Alors, pourquoi lancer ces programmes d’électrification si vite ?
Antithèse : oui, mais quand-même…
Il y a une vraie raison à se lancer dès maintenant dans l’électrification de la mobilité, voire d’autres usages, c’est que renouveler le parc prend du temps et qu’il ne faut peut-être pas attendre d’avoir complètement décarboné le mix pour le faire. La vitesse de rotation d’un parc de véhicule est de l’ordre de 17 ans, mais les changements d’habitude et l’adaptation des infrastructures est encore plus long.
De plus, le chargement des batteries est une consommation « pilotable » d’électricité : on peut brancher sa voiture quand elle est à l’arrêt et mettre en place un système intelligent qui la charge quand l’énergie renouvelable est disponible sur le réseau. Comme le caractère variable, prévisibles, mais non contrôlé de certaines énergies renouvelables va poser problème quand elles seront devenues prépondérantes, toute consommation pilotable est la bienvenue.
Synthèse : c’est une question de perspective et de pari sur l’avenir.
L’argument qu’il faudra plusieurs dizaines d’années pour passer au VE et qu’il faudra tout autant de temps pour décarboner le mix, et que donc, on est contraint de faire les deux en même temps est un argument qui se défend très bien.
Mais j’y opposerais deux choses :
D’abord, on risque de passer à côté de l’occasion de réduire la consommation d’énergie du transport. Les émissions du transport sont le produit du nombre de km parcourus, de l’énergie dépensée par km, et de l’intensité carbone de l’énergie.
Faisons un parallèle, qui vaut ce qu’il vaut, avec le logement : on a intérêt à isoler sa maison avant de changer de chaudière, afin de ne pas se retrouver avec une chaudière surdimensionnée. Si on a divisé par 4 le besoin de chauffage, on peut acheter une chaudière quatre fois plus petite.
De la même façon, pour le transport, je préconise de s’attaquer dans un premier temps à la réduction des km parcourus, au taux de remplissage des véhicules, ainsi qu’à leur efficacité (énergie par km) voire à leur sobriété (des voitures plus légères et moins rapides). Toutes ces actions vont avoir pour effet de réduire la consommation d’énergie et donc les émissions de CO2 au cours du temps, même si cela ne permet pas d’arriver à zéro. Quand on aura tout divisé par deux ou trois, il sera temps de passer au dernier terme de l’équation : décarboner l’énergie.
Je suis d’accord que cet argument est fragile et qu’il y a un problème de dynamicité : comme tous ces changements prennent du temps, il faudrait probablement tout faire en parallèle pour avoir une chance d’y arriver avant 2050 !
Ce n’est pas faux, mais voici la raison qui me fait vraiment hésiter, mais alors vraiment beaucoup, à pousser trop vite l’électrification de la mobilité.
Il y a de la voiture électrique dans les scénarios 2°C, mais il y en a aussi dans les scénarios 5°C !
Le pic oil, c’est maintenant. On peut débattre de la date exacte, mais que ce soit en 2006 ou 2020, cela ne change pas le raisonnement à l’échelle du siècle. Or, le pétrole est l’énergie reine pour le transport, et le transport est le sang de l’économie. Sans transport, pas de PIB, pas d’activité économique et… pas d’émissions de GES ! Donc, pour atteindre les niveaux d’émissions des scénarios RPC8.5 du GIEC qui amène à +5°C, il faut un système de transport qui se passe progressivement du pétrole. Et comment ? Je vous laisse deviner !
Il est évident pour moi qu’on n’atteint pas les niveaux d’émission des scénarios RCP8.5 sans transport électrique, mais avec cette fois une électricité au charbon, et jusqu’à épuisement de ce dernier. Ma conviction intime, c’est qu’on n’ira pas chercher les dernières tonnes de charbon si on n’a pas une économie qui s’est affranchie du pétrole grâce à l’électricité « charbonnée » et à la mobilité électrique.
« S’affranchir du pétrole », ça sonnait bien, pourtant ? Si c’est pour sauver le climat, oui. Si c’est juste pour passer la barre du peak oil, eh bien, ça dépend. Ça peut être pire que tout. Imaginez 500 millions de voitures électriques en Chine, avec une électricité qui se décarbone au rythme actuel (c’est-à-dire nul). C’est une arme de destruction massive du climat.
Nous sommes donc devant un pari à la Pascal :
Si je suis optimiste, j’estime que j’ai le choix entre un scénario médian et un scénario bas, que dois-je choisir ? Celui du bas, évidement ! Et pour cela, j’électrifie la mobilité en même temps que je décarbone mon électricité.
Mais si je suis pessimiste, que je pense avoir le choix entre le scénario RCP8.5, qui est le pire du pire (+5°C) et un scénario médian, que dois-je choisir ? Je choisis évidemment le scénario médian. Et pour cela, aussi paradoxal que cela puisse paraître, je décide de ne pas développer la voiture électrique, quitte à être un peu gêné dans ma mobilité au cours du siècle, et à devoir relocaliser un peu mon économie (mais on devrait pouvoir s’en sortir).
Toute la question est donc de savoir si on a à choisir entre le bas et le milieu (on est optimiste) ou entre le milieu et le haut (on est pessimiste). Sommes-nous plutôt devant un choix entre +2°C et +3°C ou devant un choix entre +3°C et +5°C.
Un indice : pour le moment, on est sur une trajectoire haute…
Donc philosophons à loisir sur la nécessité d’être optimiste ou pessimiste pour déclencher le changement (et j’ai des bonnes bouteilles chez moi pour ça), mais dans tous les cas, attendons d’avoir vraiment enclenché la transition pour parler de voiture électrique et fixons-nous comme règle de ne jamais les déployer avant d’avoir suffisamment décarboné le mix des pays dans lesquelles elles roulent pour qu’elles soient au moins à parité avec les voitures thermiques. C’est plus sûr.
“attendons d’avoir vraiment enclenché la transition pour parler de voiture électrique et fixons-nous comme règle de ne jamais les déployer avant d’avoir suffisamment décarboné le mix des pays dans lesquelles elles roulent pour qu’elles soient au moins à parité avec les voitures thermiques. C’est plus sûr.”
Donc pour le France et les autres pays que vous citez, au mix électrique largement décarboné, allons-y sans hésitation !
La France vend son électricité en masse a moins cher que ses couts de production (26-28€/MWh en ce moment (le cout de production est autour de 50€/MWh d’après la cours des comptes, entre 35€ et 40€ selon EDF). En ce moment, nous exportons jusqu’à 20 GWh a tous nos voisins ! Il suffirait d’électrifier en masse pour faire baisser les importations de pétrole carburant routier !
Cette affaire de croyance dans un modèle que certains veulent nous obliger a imiter en regardant vers l’allemagne, peut aussi être retournée en notre faveur…
La chine s’est calmée sur le charbon et met en service une tranche nucléaire chaque mois (5 a 7 par an depuis 2 ans). La pollution devenant si forte que le pouvoir centralisé de cette dictature a bien été obligé de réagir, et il a fait fermer quelques tranches a charbon autour des villes. Nul doute que l’effet JO en 2012 (la pouvoir avait fait fermer les usines et centrales polluantes pendant les JO pour des questions d’image internationale) et le film “sous le dôme” (qui a décrit la vie incroyable d’une pékinoise obligé de rester cloitrée chez elle pour ne espérer respirer le moins de particules fines possible) en sont responsables.
Je ne suis pas en train de défendre la chine, je constate. Même si je ne vis pas en Chine.
En tout cas Un billet qui reflète assez bien le dilemme de la généralisation du VE dans le monde.
Je corrige et modifie c e que je voulais dire par là :
“La France vend son électricité en masse a moins cher que ses couts de production (26-28€/MWh en ce moment (le cout de production est autour de 50€/MWh d’après la cours des comptes, entre 35€ et 40€ selon EDF). En ce moment, nous exportons jusqu’à 20 GWh a tous nos voisins ! Il suffirait d’électrifier en masse pour faire baisser les importations de pétrole carburant routier !”
La France vend en masse son électricité a perte au prix du marché. En ce moment, nous exportons jusqu’à 20 GWh a tous nos voisins ! Il suffirait d’électrifier en masse pour faire baisser les importations de pétrole carburant routier !
Combien de TEP pourrions nous économiser en carburant routier au lieu de les vendre a nos voisins qui en plus ne se privent pas de nous attaquer sur notre production électronucléaire ? Et même pour certains, participent a la production (CF les droits de tirages des centrales a l’est du pays notamment Fessenheim).
Ces 20 GWh que la France exporte massivement ces dernières semaines ne sont pas de la surproduction, ils sont le résultat d’une structuration des réseaux des autres pays voisins a qui nous fournissons l’électricité parce qu’ils n’ont pas dimensionnés leur production de manière adéquate. Si nous reprenons ces GWh, ils reprendrons le contrôle de leur production, tout le monde y gagnera en indépendance électrique. Il faut en effet que cela ne conduise pas a rendre plus dépendant envers les fossiles ces pays voisins…
Il faudrait ajouter a cette analyse,
– le regard de Philippe Bihouix sur la disponibilité des métaux “rares” nécessaires aux batteries et au véhicules électriques
– l’impact énergie grise : 1.5tonnes de véhicule produit en france c’est 8.2 tCO2e pour sa fabrication soit l’équivalent de 50 000 km parcourus (5 l/100km- gasoil). A mon avis l’impact d’un VE est plus important que celui d’un véhicule thermique, surtout s’il est produit dans un pays au mix carboné
-l’explosion du parc automobile…Chine et autres.